
Né à Barcelone en 1914, mort à Paris en 1990, inhumé à Saint-Geyrac, sa vie est racontée par sa fille Claire Martineau.
Mon père, Juan Gil, est né le 13 janvier 1914 à Barcelone en Espagne. Après une scolarité au collège Saint-Louis de Gonzague à Barcelone, il étudie le métier d’imprimeur avant de faire son service militaire à Saragosse.
C’est alors qu’éclate la guerre civile en juillet 1936. Le général Franco fomente un coup d’état militaire nationaliste, renverse la 2e république espagnole, et lance ses troupes contre l’armée républicaine. Il est soutenu par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Cette guerre civile va durer 3 ans et se terminer par la défaite du camp républicain.
Juan Gil a déserté de l’armée franquiste pour s’engager au côté des républicains. Après la défaite, comme beaucoup de soldats républicains, il quitte l’Espagne pour échapper à la prison et à la mort. Son bataillon est décimé. Désarmé et ayant renoncé à ses galons de commandant, il rentre clandestinement en France, franchissant les Pyrénées près de Bourg-Madame le 13 février 1939.
Le gouvernement français ne reconnaissant pas les réfugiés espagnols, mon père, Juan Gil, apatride, est interné au camp de Septfonds dans le Tarn et Garonne. Le 3 septembre 1939, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne. Un décret du gouvernement français mobilise tous les réfugiés espagnols. Mon père est enrôlé sous l’uniforme français dans une compagnie prestataire de l’armée au 4e bataillon du génie qui va effectuer des travaux en avant de la ligne Maginot dès octobre 1939, près de Forbach.
Entre la déclaration de guerre de septembre 1939 et l’offensive allemande de mai 1940, il n’y a pas d’opérations militaires d’envergure : c’est la « drôle de guerre ». Le 10 mai 1940, l’Allemagne attaque. Son armée repousse le bataillon de Juan Gil par Reims et Vitry-le-François jusqu’à Gérardmer. Le 22 juin 1940, mon père est fait prisonnier par l’armée allemande et conduit au fort de Hatry à Belfort.
Les espagnols sont rassemblés le 13 janvier 1941 et envoyés près de Hambourg au Stalag XI B. A la sortie du camp, la gestapo arrête Juan Gil et le transfère, avec d’autres espagnols, au camp de concentration de Mauthausen en Autriche. Il y reste jusqu’au 5 mai 1945, jour de libération du camp par les américains.

Après avoir connu les trois ans de guerre civile en Espagne, mon père et ses compagnons vont supporter la déportation durant cinq années. Privation de nourriture, coups de pelle, claques, humiliations, le travail de forçat, les hurlements rauques des SS « Schnell! », « Raus! », la saleté, les maladies, les épidémies, les appels à l’extérieur en pleine nuit, dénudés sous la neige, avec une température pouvant descendre à -20°C, menace à tous moments d’être gazés, d’être transportés au four crématoire …
Juan Gil travaille à la carrière et reste au camp central jusqu’à la libération. Sur les 7000 espagnols entrés à Mauthausen, il ne va en rester que 2000 le jour de la libération, 5000 sont décédés. Mon père ne pèse plus que 30kg ; il est rapatrié en avion le 24 mai 1945 depuis Linz en Autriche jusqu’en France.
Les déportés sont accueillis à Paris par la Croix Rouge à l’hôtel Lutétia. Après douche et désinfection, on leur remet des vêtements et quelque argent. C’est ici à l’hôtel Lutétia (Paris 6e), que Juan Gil rencontre Monsieur Julien Grifé, imprimeur-éditeur, place Saint-Sulpice (Paris 6e). Celui-ci cherche parmi les déportés un imprimeur sachant parler espagnol, français et catalan. L’imprimerie Grifé imprime et édite des livres et des documents en espagnol, notamment pour le gouvernement espagnol en exil et pour l’Association des Jeux Floraux Catalans en exil. Mon père répondant à tous ces critères se porte candidat et est embauché par Monsieur Grifé. Il fera toute sa carrière professionnelle à l’imprimerie Grifé.
Mon père embauche à l’imprimerie à 6h du matin à cause des restrictions d’électricité. Plutôt que de rentrer dans son foyer à Ivry, il dort sur un banc de la place Saint-Sulpice tout près de l’imprimerie. M. Grifé l’apprenant, il propose à Juan de venir dormir chez lui. Ainsi Juan fait la connaissance de Claire, fille de monsieur et madame Grifé. Sans famille en France et ne sachant où aller, Juan accepte l’invitation de la famille Grifé de venir passer un séjour en Dordogne. C’est ainsi que Juan Gil noue des liens très fort avec Saint-Geyrac.
Saint-Geyrac, ce village très cher au coeur de mon père. Après 3 ans de guerre et 5 ans de déportation, c’est le lieu de ses premières vacances en homme libre, où il a repris goût à la vie chez mes grands-parents, en famille en août 1945 avec sa future épouse. Tous les étés, il revenait voir ses amis du bourg: Jean Auzy, Margot et Brachet Auzy, Jeanne Robert, Noémie (l’épicière), M. Savy et bien d’autres qu’il a rejoints au cimetière où il a toujours voulu être enterré. En 1945, Juan a fait la connaissance de Claire, fille de M. et Mme Grifé. Ils se marient en 1949 à Paris (6e arrondissement).
Juan Gil demande la nationalité française en 1957. Il n’accepte de retourner en Espagne qu’en1976, après la mort du dictateur Franco, décédé l’année précédente, en novembre 1975.
Juan Gil, mon père, durant toute sa vie s’est occupé bénévolement de ses frères de déportation au sein de la Fédération Espagnole des Déportés et Internés Politique (FEDIP), dont il devient le président en 1981, Il milite aussi au sein de l’Union Nationale des Déportés, Internés et Famille de Disparus (UNADIF). En 1985, il est élevé au grade de chevalier dans L’Ordre National de la Légion d’Honneur par l’un de ses compagnons de déportation : Pierre Viennot, ancien maire du 6e arrondissement de Paris.
Mon père, Juan Gil, décède le 13 juillet 1990 à Paris 7e et est inhumé, selon sa volonté, à Saint-Geyrac. Aujourd’hui, je continue à préserver la mémoire de mon père et de ses compagnons de déportation au sein de l’Amicale de Mauthausen.

Stèle de la tombe GRIFE GIL
Cimetière de Saint-Geyrac
GENEALOGIE
Le 8 juin 1903, Jeanne Castanet épouse de Jean Ribette, décède à Saint Geyrac à l’âge de 30 ans. Elle est née et s’est mariée à St Felix de Reilhac.
Claire Ribette leur fille, née le 2 novembre 1896 à la Borderie commune de Saint Geyrac, épouse le 24 mars 1948 à Paris Julien Grifé. Elle décède le 4 avril 1979 à St Pierre de Chignac.
Leur fille Claire Louise Grifé (1925-2013) épouse Juan Gil.












